Si Mohand (Mohand-ou-m’hand at Hamadouche —
1845*1906). Il naît dans une famille kabyle relativement
aisée, que ruine sa participation à l’insurrection de
1871. Le jeune Mohand échappe de peu au sort de son
père, fusillé. De ce jour commencent ses errances.
Curieux de tout et de tous, marié ou célibataire, on ne
sait trop, mais amateur, selon Mouloud Feraoun, « de
kif et d’absinthe », ce vagabond caustique, charmeur et
inspiré sème de courts poèmes, les isefra ou isfras , qui
connaissent un immense succès. Ciseleur très noncha¬
lant du quotidien, des aléas de l'amour (qui sait,
platonique ?), la légende s’empare de ce poète sans
liens qui savait trouver en Dieu son refuge naturel.
Traduction du kabyle par Mouloud Mammeri, présen¬
tation par Tassadit Yacine.
Collection dirigée par Claude Michel Cluny
U Afrique
Kabyle (Algérie)
Maquette de la couverture 1
Colette Lambrichs, d'après Julio Pomar. 35 FI : .
782729 109905
Si
Mohand
Choix, traduction du kabyle
par Mouloud Mammeri.
Présentation par Tassadit Yacine.
MOULOUD MAMMERI
Mouloud Mammeri est né en 1917 àTaouritMimoun (en haute
Kabylie). Il est fils d'un artisan-armurier détenteur de la sagesse
kabyle ancienne. Entre 1949 et 1962 Mouloud Mammcri enseigne
les lettres françaises en Algérie et au Maroc. Mouloud Mammcri se
fait remarquer par la parution de La colline oubliée , son premier
roman, qui sera suivi de trots autres : Le Sommeil du juste, L ! Opium
et le bâton, et la Traversée. Parallèlement à la fiction Mouloud
Mammeri se consacre à la recherche dans le domaine de la langue et
la culture berbères. Il est nommé, en 1969, Directeur d'un Centre
d'Erudcs et de Recherches anthropologiques et ethnographiques, à
Alger. En 1984 - avec le soutien de Pierre Bourdieu, il crée le centre
d’Etudes Amazigh, à Paris. On lui doit plusieurs ouvrages sur la
culture berbère, les îsefra de Si Mohand ou Mhand, Poèmes Kabyles
anciens, TAhellil du Gourara, Tajerrumt n Tmazight. .. etc.
Mouloud Mammcri a également dirigé deux revues de renom,
Libyca , en Algérie et Awal, en France. Mouloud Mammcri décède
en 1989 sur la route d'Oran.
TAS S AD IT YACINE
Tassadit Yacine, Maître de conférence à l'Ecole des hautes
études en sciences sociales. Collaboratrice de Mouloud Mammeri,
elle est membre fondateur de la Revue Awal et du Centre d'Etudcs
Amazigh, qu'elle continue de diriger.
On lui doit de nombreux ouvrages sur la culture berbère : Poésie
berbère et identité, L ’lzli ou Tamour chanté en kabyle. Ait Menguellet
chante... Les voleurs de feu. Eléments dune anthropologie sociale et
culturelle de l’Algérie.
ORPHÉE. COLLECTION DIRIGÉE PAR CLAUDE MICHEL CLUNY
Deuxième Série
126. Cobra Poésie.
127. Paul Palgen, Guanabara et autres poèmes.
128. Jan Kocnanowski, La Vie qu’il faut choisir.
129. Maurice Chappaz, Office des morts suivi de Tendres campa -
gnes.
130. Alfred Tennyson, Le Rêve d’Akbar et autres poèmes.
131. Bai Juyi, Chant des regrets étemels et autres poèmes.
132. Juvénal, Satires.
133. Gary Snydcr, Premier chant du chaman et autres poésies.
134. Karolinevon Günderodc, Rouge
135- Georges Haldas, Un grain de blé noms l’eau profonde.
136. Michel Deguy, Ouï Dire.
137. Jorge Nijar, Toile écrite.
138. Roger Bodart, La Route du sel.
139. Ivan Blatny, Le Passant.
140. Edith Sôdergran, Le Pays qui n’est pas.
141. Hsüeh T’ao, Un torrent de montagne.
142. Anthologie grecque II. La Couronne de Philippe.
143- H.D., Le jardin près de la mer.
144. Ivan A. Bounîne, Mon cœur pris par la tombe.
145. François Mauriac, Le Feu seeset.
146. Thomas Hardy, La Risée du Temps.
147. Robe no Juarroz, Douzième Poésie verticale.
148. Karel Van de Woestijne, L ’ Ombre dorée et autres poèmes.
149. Miquel Marti i Pol, Joie de la parole.
150. Jules Laforgue, Que la vie est quotidienne....
151. Pantouns malais.
152. Tibulle, Elégies.
153. Johannes Bobrowski, Ce qui vit encore.
154. Julian Tuwim, Pour tous les hommes de la terre.
155. C.K. Willams, Chair et sang.
156. Stephen Crâne, Les Cavaliers noirs et autrespcèm*s.
157. Catharina Fjégina von Greiffenberg, Par le destin L plus
contraire.
158. La Passion du Christ selon les t tes baroques français.
159. August von Platen, Sonnets d’amour et Sonnets vénitiens.
160. Pericle Patocchi, L'Ennui du Bonheur et autres poèmes.
161. Bhartrihari, La Centurie du renoncement.
162. Innokcnti Fcdorovitch Annenski, Trèfles et autres poèmes.
163. Paul Verlaine, Poésies 1866-1874.
164. Olga Votsi, Le Dernier Ange et autres poèmes.
165. D.H. Lawrence, Le Navire de mort.
166. Christine Lavant, Les Etoiles de la faim.
167. Luis Cernuda, Invocations précédé de Où habitera l'oubli.
168. Ernst Mcister, L’Etoile du possible.
169. Sigurdur Palsson, Poèmes des hommes et du sel.
172. Virgile, Bucoliques.
173. Le Livre des poèmes.
174. Hector de Saint-Dcnys Garncau, A côté d’une joie.
175. Philip Larkin, Où vivre, sinon ?
176. Dulce Maria Loynaz, La Fille prodigue.
177. Piero Bîgongiari, Ni terre ni mer.
170. Françis Jammes, Une joie de jsaradis...
171. al-Mutanabbï, la Solitude d un homme
L'éditeur tient à remercier vivement Charles Juliet, qui l'a incité à
consacrer un volume à S i Mohand ainsi que Jamal ed-Dîn Bencheikh
pour son très amical soutien.
© La Découverte pour la traduction.
© ELA La Différence, 1994, pour la préface et les textes
annexes.
SI MOHAND
ISEFRA
TRADUCTION DU KABYLE
PAR MOULOUD MAMMERI
PRESENTATION PAR TASSADIT YACINE
ORPHÉE / LA DIFFÉRENCE
PRÉFACE
par Tassadit Yacine
Mohand-ou-m’hand (Mohand fils de M’hand) compte
parmi les poètes qui incarnent la grande tradition poétique
berbère. Le poète est connu sous le nom de Si Mohand qui
désigne à la fois un nom très commun et pourtant spécifi¬
que. Nom commun en ce que la particule Si précédant
Mohand est d’un usage courant, spécifique car ce nom a fini
par désigner un barde d’une époque déterminée : la Kabylie
de la fin du XIX e siècle.
Quelles sont les conditions sociales qui ont favorisé l’émer¬
gence d’un poète tel que Si Mohand ?
Peut-on comparer ce poète de la tradition orale berbère à
un poète appartenant à une civilisation écrite qu’elle soit
orientale ou occidentale ?
Il est vrai qu’on ne peut apporter à cette question qu’une
réponse partielle. Le poète de tradition orale est à la fois
semblable au poète de tradition écrite et différent de lui.
Etroitement lié à son auditoire, il est par essence un canal
d’expression privilégié, voire un exutoire de son groupe ; ce
qui n’est pas forcément le cas d’un poète de tradition écrite.
Certes dépendant de son groupe, ce dernier peut parfois s’en
extraire. Son oeuvre peut, à l’occasion, être parfaitement
découverte et appréciée après sa mort. Ce qui est difficile¬
ment concevable pour un poète de tradition orale. Sa re¬
nommée peut encore acquérir de l’importance après son
décès, mais on ne ^ut guère imaginer sa découverte post
mortem comme dans la tradition écrite. Aussi est-il intéres¬
sant pour le lecteur d’aujourd’hui de comprendre en même
temps que la pensée de l’auteur celle de son auditoire, scs
7
modes de réception et de mémorisation ; car le travail de
censure, de filtrage, de codification a été réalisé au moment
de la conception du poème.
Marqué par le siècle, Si Mohand retraduit les angoisses,
les déboires et les désillusions des hommes de son temps.
Il est en effet né à une époque charnière et décisive de
Thistoire nationale. Il a vu le jour vers 1845 à Icherâiouen
(Tizi-Rached). D’origine sociale plutôt aisée, le jeune
Mohand est destiné aux études : à la lecture et à l’écriture de
la langue sacrée, l’arabe, langue du Coran. Il est socialement
situé du coté des membres privilégiés, voire des élus, de son
groupe.
Dans sa petite enfance, Mohand est donc favorisé par le
sort, puisque la société dans laquelle il vivait n’était pas
encore affectée par l’ordre colonial qui avait déjà gagné la
plus grande partie du nord de l’Algérie.
C’est seulement vers 1857 que toute la Kabylie sera
occupée par les troupes du général Randon. Le cadre général
de la tribu de Si Mohand ne sera guère épargné. C’est en
effet, un peu plus tard, en 1871» avec la célèbre insurrection
du cheikh Aheddad et de El-Mokrani, que les structures de
son village et de sa famille seront sérieusement ébranlées.
Le séquestre qui va frapper nombre de familles (donc la
sienne), les bannissements, les exécutions sommaires opè¬
rent un bouleversement généralisé de sa société.
Mohand, comme son père, devait aussi être exécuté. Un
officier de l’armée le sauvera in extremis car il jugeait sa mort
sans importance. Le village de Mohand a été entièrement
rasé et ses habitants disséminés dans d’autres villages de
Kabylie. Certaines familles émigrent vers les grandes villes :
Bône ou Tunis ; c’est le cas d’une partie de la famille du
poète. Son frère s’est rendu à Tunis avec, de surcroît, une
partie de l’héritage familial.
8
Marqué par la mort et l’exil, le poète est désormais seul.
Aussi est-il chargé symboliquement d’être le représentant de
sa famille, de sa généalogie, de sa patrie, ce qui constitue une
lourde responsabilité. Sans soutien moral ni matériel, Mohand
n’adhérera pas au schéma classique. Il va s’en éloigner au
maximum. Ayant été désigné pour les fonctions de clerc
(taleb) t il n’usera point de ce prestige pour s’intégrer dans la
société, car il lui est impossible désormais de se fixer en un
endroit :
« Jadis j’étais clerc
Aux soixante sourates [...]
Puis j’endurai toutes les peines
Parcourus tous les lieux d’exil
Abordai à toutes les villes
Maintenant car c’était écrit dans mon destin
Je subis la misère, la boisson [...]. »
(poème 12, p. 29)
Poussé par une étrange quête, celle d’une patrie, d’amours
réelles ou imaginaires, Mohand est comme réduit à l’er¬
rance, à la mobilité. Mais il n’est pas le seul à être frappé par
le sort (Iwaâd un de ses termes privilégiés) plusieurs de ses
amis et compagnons vivent dans la même condition.
Pour tous, l’issue qui reste, c’est l’exil : partir du hameau
pour le village colonial (Ibiladj), ou pour les grandes villes
(timdinin) t Bône, Tunis. Ce passage d’un univers à un autre,
pour le poète, c’est le passage de tamurt (le pays, le village) ou
de taddert (qui signifie aussi le village natal) au Ibiladj (le
village de colonisation). Il oppose également lher (le pur,
l’authentique, le vertueux) à soufadj (Te sauvage). Ce néolo¬
gisme récent appliqué par l’ordre dominant à sa culture, son
peuple, Mohand le reprend à son compte pour désigner
9
toute une catégorie sociale qui, comme les plantes, est vouée
à pousser hors des cadres habituels '. Etrange association de
termes qui permet de constater comment Mohand a intégré
la vision du monde du colonisateur, maL» au fond n’est-elle
pas celle qui structure toutes les sociétés : les rapports cîe
force à l’origine de toute domination. Cette mutation déci¬
sive lui permet de fuir la cruauté et la tyrannie de la société
traditionnelle. Il n’est point privilégié dans les bidonvilles
des grandes villes. Il le sait. Il peut tout de même choisir de
vivre dans la marginalité, ce qui est impossible au village
kabyle. Cette position est exemplaire pour traduire certaines
dimensions refoulées de sa culture.
Ce mode de vie, qui l’éloignait des siens, tout en le
rapprochant d’eux affectivement, favorise l’inspiration. Les
déracinés, comme les éternels exilés, sont toujours en quête
d’une patrie. Mais la patrie de Mohand est celle de l’enfance
perdue. N’est-elle pas nostalgie du nid chaud du foyer
familial qu’il va quêtant au gré de ses aventures ?
« Du temps que j’étais enfant
Sans pareille était ma beauté
Mon père travaillait pour moi
Nous possédions de bonnes terres à Chamlal
Et d’autres en montagne
C’était pensais-je la fortune
Maintenant que je prends appui sur la férule
Mon bonheur penche
Las Où est le temps d’antan. » (poème 4, p. 25)
1. Dans la langue kabyle, on désigne par aheccadW plante non greffée.
Le terme ahcccadi applique à la masse numériquement importante de « ro¬
turiers » (selon la perception maraboutique) et renvoie globalement à tout
ce qui est « sauvage », inculte, etc.
10
Cherche-t-il à gagner l’affection d’autrui ou cherche-t-il à
s’en éloigner afin de donner sens, existence à sa souffrance, à
ses déboires ? Si Mohand étant le fils de la bohème, de
l’aventure, le fils de « Hélas », comment peut-il imaginer un
seul instant épouser les cadres étroits d’une société en la¬
quelle il se reconnaît à peine et qu’il fuit ?
« On m’a surnommé l’égaré
Moi qui ai psalmodié les lettres
Et appris les soixante sourates
Mon nom était célèbre
Chaque jour j’entrais dans les rangs des prieurs
Etant depuis longtemps clerc
Maintenant que je suis adonné aux filles
Vidé d’argent
Voué aux cartes et à la boisson. » (poème 3, p.25)
Dans un autre poème, il déclare :
« Au temps de ma droite chance
Je passais mes jours à réciter le Koran
Cherchant le sens de chaque terme
Maintenant que me voilà perdu
Je pèche sciemment
Je sais la Voie... et la fuis. »
(poème 10, p. 123, Edition Maspero, 1969)
Il la fuit sans doute pour mieux la voir, mieux sentir le
poids de sa tyrannie, de ses injustices. La distance ne permet-
elle pas ici proximité, naissance de la poésie ?
Naissance d’un mode autre de vivre et de penser, adapté à
des comportements favorisés par le nouvel ordre économi¬
que, social, politique.
11
Les aller et retour, la prolétarisation généralisée des Algé¬
riens arabes et kabyles, l’apparition des boissons alcoolisées,
la consommation de drogue (haschisch, cocaïne) témoi¬
gnent d’un mal qui ronge sérieusement la société algérienne
dans son ensemble.
I,a brisure du destin singulier de Mohand n’est que le
reflet d’un destin collectif lui aussi brisé.
Aussi comprendra-t-on que, loin de s’accrocher aux lois
traditionnelles, vidées de leur substance, Mohand s’en écar¬
tera volontiers par son mode de vie mais aussi par ce qui va
faire son identité, sa survie sociale : la poésie.
C’est un poète hors du commun, il ne peut donc être que
spécifique. Si Mohand ne va pas représenter la famille At
Hamadouche, il ne va pas non plus fonder un foyer, il va
transgresser les règles sociales : détour nécessaire pour entrer
en poésie. Il va prolonger la mémoire collective ancienne
dans sa dimension berbère et méditerranéenne. Par Si
Mohand, nous pénétrons en effet de plain-pied dans la
tradition grecque ancienne dans laquelle le poète était appelé
drmiourgos .
Il était censé détenir, perpétuer la mémoire du groupe,
forger ses règles et travailler au rappel de ses valeurs, de ses
rites et de ses mythes. Nous retrouvons dans son répertoire
nombre de poèmes consacrés à la perte des valeurs ancien¬
nes, en somme, au changement social perçu comme une
inversion de l’ordre symbolique.
Si Mohand s’inscrit sans conteste dans cette tradition. Un
poète est celui qui se consacre à son art. Il est comme
prédestiné à marquer le siècle, la littérature maghrébine dans
son expression berbère. Les signes d’élection sont nombreux
et connus de tous : les songes, les épreuves, les pactes avec les
puissances célestes.
Le candidat à la poésie ou à la divination doit suivre un
12
périple initiatique au cours duquel il est élu. Mohand est ici
désigné par un ange qui lui enjoint de choisir entre conce¬
voir la poésie ou la dire. Mohand lui dit alors : « Compose et
moi je parlerai. » Depuis cette rencontre avec l’ange au bord
du puisard, le poète est devenu intarissable.
Le poète n’est donc qu’une voix, qu’une expression échap¬
pant à la rationalité sociale. Aussi le poète doit-il obéir à cette
voix intérieure qui est à la fois singulière et collective.
Singulière en ce qu’elle est unique et possède ici un corps et
un esprit (celui du poète), elle est plurielle car elle est la
traduction de l’imaginaire social en son entier qui reconnaît
en lui le porte-parole des voix de l’autre côté du rideau
(entendez le monde invisible).
Cette sortie hors de soi est vécue comme extraordinaire et
comme un signe d’élection.
Aussi le poète se permet-il de repenser le monde, car il
incarne précisément la perception du cosmos.
Il est ce philosophe qui rappelle la bonne conduite des
hommes, les règles qui jadis fondaient l’équilibre de la
société.
C’est pourquoi, dit-on, Mohand est désigné pour devenir
poète de l’amour et maître de l’ asefru,,.
Comment concilier asefru (de éclairer, élucider, délier,
interpréter) et amour ? Ces deux termes sont à la fois conci¬
liables et antithétiques car l’amour ne peut se dire (prendre
forme ?) que dans et par la poésie ; et si l’on n’évoque
l’amour que dans la poésie c’est qu’assurément il n’a pas
droit de cité dans la société ou bien la marge laissée par le
code est si mince (car strictement réglementée) qu’on peut
dire qu’il est inexistant.
L 'asefru incarne un genre : le tercet heptasyllabique. Avec
Si Mohand, Y asefru va prendre le devant de la scène sur tous
les autres genres qui préexistaient : les tiqsidin (genre édi-
13
fiant, noble), les izlan (genre léger, lyrique). Pour compren¬
dre la relation étroite entre Y asefru et Si Mohand, il serait
intéressant de voir si la société kabyle d’antan n’avait pas
d’autres canaux (ici genre) pour dire l’amour dans ses diver¬
ses formes (sentimental, érotique, légitime). L 'asefru
mohandien va en efFet marquer le siècle parce que, de par
son expression, Mohand (comme homme et comme clerc)
va outrepasser les bornes. Il est le poète de la règle qu’il dit et
qu’il transgresse hyperboliquement, comme il est le chantre
de l’amour, des vins doux, des alcools et des drogues. Il est
donc le porte-parole de ceux qui sont plus en dehors de la
société qu’en elle. Aussi Yizli (chant lyrique), genre jadis
apprécié par les jeunes, les bergers, et socialement autorisé
dans les fêtes, ne peut guère convenir au poète. Vizli (chant)
est un poème court, il est consacré à l’amour.
A situation insolite, expression renouvelée. Les rites, les
conventions, les feintes de Y izli ne peuvent plus satisfaire
une existence désorientée, sans port d’attache (ur test leqrar).
Les vers de Mohand contrairement à Y izli (souvent expres¬
sion collective) vont chanter les sentiments les plus indivi¬
duels, les plus coupés de toute référence sociale autre qu’une
poétique purement symbolique, exaltation des valeurs de
jadis (ztk), que le poète ne définit jamais. Sa sensibilité
d’homme rejeté (y compris par les siens, son frère) le prédis¬
posait à ce rôle, mais plus encore les conditions concrètes de
son existence : Mohand ignore presque les règles du jeu car
les temps anciens sont désormais morts et les nouveaux pas
encore nés. Aussi son discours n’est pas seulement déviant, il
est scandaleux et même blasphématoire.
On peut considérer que le scandale, c’est la transgression
assuméepubliquement. Ainsi l’/z/r peut être considéré comme
l’aboutissement nécessaire des contradictions d’une société :
Y izli est socialement accepté même si l’on fait semblant de
14
l’ignorer. Il est donc partie intégrante de la culture, il est
l’exception qui confirme la règle ; en revanche Y asefru
mohandien est un défi permanent. Il est le désordre outran-
cier. Mais c’est sans doute par la création poétique que l’on
peut davantage comprendre l’homme. Mohand est à la fois
le poète chargé de transmettre les valeurs de sa culture mais
l’incohérence des hommes le pousse à révéler leur hypocri¬
sie. Même si le poète semble bousculer les règles sociales, il
n’en demeure pas moins qu’il reste lui-même dans les limites
du dicible. On le voit dans l’utilisation pléthorique de la
métaphore. Certaines métaphores en viennent à constituer
l’essence même de sa poésie. L’amour est d’abord décrit sous
cette forme, elliptique pour le lecteur étranger mais parfaite¬
ment claire pour l’auditoire kabyle.
Esquisses précises mais jamais achevées, ses descriptions
sont très suggestives. La femme, son corps ne sont jamais
livrés au public dans leur nudité totale. Il procède par petites
touches comme pour garder au corps de la femme tout le
mystère, le suc, la sève. Comme avec un pinceau de peintre,
le poète lève le rideau sur une partie : la plus enfouie, la plus
cachée, mais sans jamais aller au bout de son oeuvre. Car
livrer le tableau dans son intégralité, c’est aussi ôter le
charme (serr), la saveur. Les corps des femmes sont beaux
certes mais demeurent inaccessibles, ils sont là pour pousser
à la suggestion, à la création. Aussi le poète utilise la méta¬
phore du jardin au point d’en faire la substance même de son
répertoire.
Ces non-dits clairement suggérés par Si Mohand sont
vécus comme une extrême licence voire une vengeance
symbolique de toute une classe sociale. C’est en effet la lutte
de toute une classe d’âge, une catégorie sociale contre l’ordre
des anciens et l’ordre en vigueur (l’ordre colonial) que les
isefra relatent.
15
Le procédé est si courant chez l’auteur, les métaphores
répétitives au point de devenir obsédantes que le lecteur
s’interroge sur leur signification profonde.
Quel est le lien qui existe entre la femme et le jardin
(tibhirt, lejnan ). Mammcri a traduit avec raison lejnan par
éden ramenant ce terme à djmna^ en arabe : paradis.
La femme aimée peut avoir un nom, un visage, une
adresse. Ce sont autant d’éléments qui montrent que l’auteur
s’inspire de situations réelles, vécues par lui ou relatées par
ses proches.
« La lionne rugit et hurla
Devant tous les Ait Abbas
Quand elle apprit que j’avais décampé
Elle a sourcils arqués
Cheveux jusqu’à la ceinture
Seins pimentés. » (poème 122, p. 67)
Dans cette poésie personnelle, marquée du sceau de la vie
du poète, beaucoup se reconnaissent car il est de partout et
de nulle part. Il est, comme il a été dit, Si Mohand fils de
M’hand : rien de plus commun mais il est en même temps
lui, c’est-à-dire qu’il n’a pas besoin de nom ethnique (Mohand
des At...). Il n’est pas le chantre d’un groupe déterminé mais
à la limite de divers groupes quels que soient les âges, les
régions et parfois la langue. Il lui est arrivé de composer des
vers en arabe pour ses amis bônois. Car la voix de Mohand,
cet aristocrate déchu, est en fait une voix révoltée, nostalgi¬
que, tour à tour résignée, furieuse, heureuse, mais jamais
totalement, sous l’apparence de ne dire qu’une déréliction
singulière. Cette voix contait à tous la misère des affects
déchirés, frustrés. La voix de Mohand n’était pas seulement
fidèle résonance, elle portait en elle une autre: perception de
16
l’univers, une cohérence à recréer, elle était grosse d’un ordre
autre, que personne ne pouvait, ne savait définir, ni même
imaginer, mais que le verbe du poète suggérait, annonçait.
Car Si Mohand à la fois dans et hors de toute foi et de toute
loi, sentait comme les prophètes les bouleversements de la
société et leurs conséquences sur le destin des hommes.
Devant l’impasse généralisée, devant l’impossibilité pour lui
de s’exprimer autrement que dans et par la poésie, Mohand
choisit (où a-t-il été choisi ?) la dimension la plus refoulée
dans la société : l’amour. On y découvre certes la vision
traditionnelle, les quêtes multiples, les interdits ; mais
Mohand va au-delà, il outrepasse les limites, il conduit son
auditoire (paysan en tout cas) vers des lieux inconnus que
l’on ne pourrait, ne saurait imaginer : les lupanars des gran¬
des villes, à Bône, rue Sidi Ramdane à Alger :
« Mon coeur bat des ailes
Et voudrait ramier devenu
En un jour traverser la mer
Vers les filles de soie vêtues
Dans leurs alcôves chaulées
Chacune avec un numéro sur sa porte
Car id qu’importe qu’elles se parent
Il n’y a pas de doute
Fades sont les plaisirs d’ici. »
(poème 100, p. 235, Edition Maspero, 1969)
Même si c’est l’amour sous son aspect négatif, il repré¬
sente néanmoins un exutoire, un lieu extraordinaire qui
permet, au moins, aux consommateurs réels ou virtuels de
laisser libre cours à leurs phantasmes. Dans le village, la
passion amoureuse était encore mortellement dangereuse.
17
Le mythe était planté au cœur de la société. Il y a encore peu
de temps, le groupe choisissait la plus belle jeune fille du
village pour l’offrir au Dieu de la pluie (son fiancé). Elle
devait se dévêtir dans un oued sec et s’offrir symboliquement
à lui. Ceci pour souligner l’importance des mythes et des
rites qui rythment le flux vital des hommes. L’amour comme
phénomène essentiel de reproduction (et aussi de concilia¬
tion et réconciliation des individus ou des groupes en cas
d’adversité) ne peut que se réaliser par le biais du rite. Car
aller à l’encontre de la norme, c’est opérer une révolution
cosmique. C’est de cela qu’il s’agit sans doute : révolution
cosmique peut-être mais symbolique certainement. Mohand
foule le monde, ses valeurs, et surtout les hommes qui
prônent une gratuite virilité.
Si Mohand comme homme et comme poète ne peut que
s’insurger contre cette injustice planétaire qui est au cœur de
chaque homme, quelle que soit sa religion, son ethnie. On
peut voir le poète s’indigner contre les Kabyles, les Arabes,
les musulmans, les juifs et... parfois les femmes. Poète d’un
groupe au départ, Si Mohand est devenu le poète maghrébin
universel. C’est en fait grâce à sa déviance, aujourd’hui
largement récupérée, que la culture berbère (de Kabylie) a
pu avoir ses lettres de noblesse. Les hommes de lettres — des
médiateurs comme Boufifa, fin du XIX e siècle, Mouloud
Feraoun, en 1957, et plus récemment encore Mouloud
Mammeri, en 1969 — ont pu brandir cet étendard comme
pour se convaincre et convaincre le monde de la culture
savante que les peuples dits sans écriture avaient une littéra¬
ture rigoureusement élaborée. Cette voie est actuellement
poursuivie par de jeunes poètes. A celle de Si Mohand
s’ajoutent d’autres voix qui ont leur place dans la poésie
universelle.
Tenerife, le 4 août 1993.
18
ISEFRA
BISMILLEH
1
Bismilleh ar nebd’ asefru
ar Elleh ad ilhu
ar d inadi deg lwedyat
Wi s islan ard a-t-yaru
ur as iberru
w’ illan d lfahem yezra l
Anhell Rebb’ a tent ihdu
yers a la ndaau
ad baadent adrim nekfa t.
Var. Boulifa (1 er vers) ï
Tikkelt a ad hej*giy asefru
(Cette fois je vais entamer le poème)
20
PRÉLUDE
1
Au nom de Dieu je vais entamer le poème
Puisse-t-il être bon
Et s’en aller errant dans les plaines
Quiconque l’aura entendu l’écrira
Il ne l’oubliera plus
L’esprit sagace en comprendra le sens
De grâce mon Dieu guide-les 1 dans la voie
C’est toi que j’implore
Qu elles aillent loin de moi
[j’y ai laissé tout mon argent.
1. Ce pronom (féminin pluriel en berbère) désigne les filles en
général.
21
2
A kra ittaassan lefjer
s tzallit d ddker
aayent-i abrid a nterrey
Afwad iw ittuaammer
s ccerb d lexmer
ur ddirey ur mmutey
Win qesdey ad iy’ isser
izga d iwexxer
tezwar si tagmat nney
Atas aya ay nesber
rebaa snin akter
ntebaa lyerba tfels ay
Amalah a kra nkerrer
iruh deg-geyzer
ula d Lhemd* iaarq ay 1 .
1. Boulifâ (141) donne seulement les strophes 1, 2 et 5 avec les
varientes suivantes :
5 - s Iwchc d leqher
13 - d kra ngewwed nkerrer
ibbiwi t akw yeyzer
Il attribue le poème à un jeune homme d*Adni, mais il ajoute
qu il s agit d une poésie de Si Mohand « avec de légères modifica¬
tions ».
22
2
Vous qui guettez l’aube 1
A prier et chanter Dieu
Aidez-moi Cette fois je suis au plus mal
Mon cœur est tout bouleversé
De vin et d’alcools
Je suis entre la vie et la mort
Ceux dont j’ai sollicité l’assistance
Se sont récusés
A commencer par mes frères
11 y a beau temps que je patiente
Quatre ans et plus
Je me suis adonné à l’exil et l’exil m’a ruiné
Las tout ce que j’ai recopié
Au torrent s’en est allé
J’ai égaré jusqu’à la première sourate 2 .
1. Ce poème passe pour avoir été le second composé par Mohand.
2. Dans les écoles koraniques, renseignement comportait essen¬
tiellement la copie, l’apprentissage et la psalmodie du Livre Saint.
La mémoire y jouait un grand rôle, et il fallait pour ne pas oublier
procéder fréquemment à des exercices de récitation.
Variantes Boulifa (141) :
5 - De frayeur écrasante
13 - Tout ce que j’ai psalmodié et recopié
Le torrent l’a emporté
23
3
Semman i medden a Imetluf
nek heggay lehnif
armi yriy settin hizeb
Ism iw yer medden maaruf
tazallit d ssfuf
deg zik bbwdey d ttaleb
Tura mi tebaay sut llhuf
ikfa yi urnes ruf
yliy di lkarta d ccerb.
4
Af asmi lliy d acawrar
zzin iw yufrar
ixeddem d baba felli
Nekseb tiyezza n Camlal
nerna idurar
auddey d ssab’irkwelli
Tura mi senndey s uffal
zzehr iw imal
yahetrah yef zikenni.
24
3
On m’a surnommé l'égaré
Moi qui ai psalmodié les lettres
Et appris les soixante sourates
Mon nom était célèbre
Chaque jour j’entrais dans les rangs des prieurs
Etant depuis longtemps clerc
Maintenant je suis adonné aux filles
Vidé d’argent
Voué aux cartes et à la boisson.
4
Du temps que j’étais enfant
Sans pareille était ma beauté
Mon père travaillait pour moi
Nous possédions les bonnes terres de Chamlal 1
Et d’autres en montagne
C’était pensais-je la fortune
Maintenant que je prends appui sur la férule 2
Mon bonheur pencne
Las Où est le temps d’antan.
1. Chamlal : vallée inférieure du Sebaou, à l’est de Tîzi-Ouzou.
2. Expression proverbiale. La tige de férule est peu résistante.
25
6
Lemmer am zik tella ttrika
nezgn d nettwekka
kulha yegga d limara s
yef zzin nebbw: dderka
d lwiz ay nefka
naaceq deg zzhu n tullas
Tura mi tbeddel ssekka
ur infaa lebka
ssber ittabaa t layas.
7
Annay a Hebb’ amek akka
hesley di ccebka
a LIeh anida tifrat
Zikenni mi nesaa ttrika
nedha d nettwekka
nennum zzhu d ixalat
Tura neyli ger imerrka
tekfa din lehya
ççan iyi di lhayat,
26
6
Jadis lorsque j’étais riche
Je me sentais étayé
Le passé de chacun nest-ce pas laisse sa marque
Pour la beauté j’ai souffert
Répandu des louis d’or
J’aimais passionnément le plaisir des filles
La monnaie maintenant a changé
Mais à quoi bon les larmes
Après l’attente vient la résignation.
7
Las Seigneur pourquoi suis-je ainsi
Pris dans les rets
Où est mon Dieu la délivrance
Du temps que j’étais fortuné
Je me sentais etayé
J’avais coutume de me divertir avec les filles
Maintenant parmi des hommes pourris
Sans pudeur
Je suis 'évoré vivant.
27
8
Lherf iw idda yef Ixa
yura deg nnesxa
ziy ddunit am laazib
Asm akken zehhuy s rrxa
d Imesruf yeqwa
mekkul lgiha sâiy ahbib
Tura mi d zzi s leyla
aammdey lwesxa
yak ma yliy ulac laib.
12
Zikenni nek <1 tlalH»
n seltin hizeb
di tedwaf izga ukorras
Di lemhaven nettâaîfib
nuday d akw leyrib
kul lbilaj beddey fellas
Tura mi di iras yekteb
s Ihif umâa ccerb
win iwten Rebb’ a-t-iqas.
28
8
J’ai préludé à mon poème en kh 1
Je l’ai transcrit
Ce monde en vérité est transitoire
Du temps que les plaisirs me coûtaient peu
Que j’avais argent sans compter
En tout lieu j’avais des amis
Maintenant au il me faut payer cher
Et supporter l’opprobre
Je peux n’est-ce pas tomber sans honte.
12
Jadis j’étais clerc
Aux soixante sourates 2
J’avais toujours l’encrier près de mes cahiers
Puis j’endurai toutes les peines
Parcourus tous les lieux d’exil
Abordai à toutes les villes
Maintenant car c’était écrit dans mon destin
Je subis la misère, la boisson
Mais à qui me blâme Dieu enverra les mêmes maux.
1. Lettre de l'alphabet arabe.
2. Les élèves des écoles koraniques poussaient plus ou moins loin
l'apprentissage des 60 chapitres (sourates) du Koran. Si Mohand,
lui, le possède tout entier.
29
13
Ata wul iw isnehtit
iggul ur ihnit
ur izdiy deg Ceràiwen
Asmi yella zzman d lâali t
mkul azniq nuy it
lehdur iw ttaaddayen
Tura tettef iyi àdunit
lemhayen iw ggwtit
iAarq ay zzhu daven
15
Recdey k a Ifahem Jhessis
naàya nefhewwis
asmi llan leqlub sfan
Kul yiwen ittissin lheq is
iteddu s Iqis
sttemmih i wi yerfan
Tura ul iw la yettinsis
yak yban isem is
Yahetrah àaddan wussan.
30
13
Mon coeur ahane
Et sans crainte de parjure fait serment
Qu il nhabitera plus Icherâiouen 1
Au temps des jours heureux
J’en parcourais toutes les rues
Ma parole y avait crédit
Maintenant la vie s’est saisie de moi
Mes peines sont innombrables
C’en est fait J’ai perdu l’art des plaisirs.
15
Esprit sensé écoute-moi je te prie
J’ai erré jusqu’à la lassitude
Du temps que les cœurs étaient purs
Chacun savait sa juste part
Et mesurait sa démarche
On pardonnait à la colère
Mon cœur maintenant dégoutte
On a enseveli mon nom
Las et mes jours sont passés.
1. Hame-u du village T...» ^Uchcd, où est né S Mcnand.
31
16
Lqern agi d nnaqes
igga-y-ay nerxes
kullas la ?çadent fellay
Zik asmi lliy d lfares
s cci netwennes
atas di medden i shefdey
Tura mi t-tagwni{ taàkes
zzher iw yettes
Imehna iqder a kemmley
Recdey-k a lfahem hesses
di lhedra ekyes
lehlak iw hed m’ a-s-t-mley
Ddunit isaab lamer ines
w irebhen yenhes
xirella bbwidak ssney
Abàad tecceçç as times
deg lerbah yuyes
syur Rebb’ ay as d frey 1 .
1. Version Yuscf-u-Lcfqi.
Variante Boulifa (98) :
1 - Lqern a yebda s Igcrs
3 - daymi la nihin fcllay
5 - usiyd netwennes
8 - Hed m’ ad as nhes
32
16
Ce siècle ingrat
A la fin m*avilit
Et chaque jour augmente mes peines
Jadis j’étais chevalier
Pourvu de fortune
Je montrais la voie à beaucoup
Maintenant le destin m’est contraire
Et mon bonheur s’est endormi
Sans doute irai-je jusqu’au bout de l’épreuve
Esprit avisé écoute-moi je t’en conjure
Ne tiens pas de propos inconsidérés
Car mon mal à personne je ne puis le dire
Apre est la loi de la vie
Les heureux sont jaloux de leur bonheur
Plus d’un en tout cas de ceux que je connais
Et d’autres mangent le feu
Et désespèrent a être heureux
Car c’est de Dieu que leur vient le manque *.
1. Variantes Boulifa (98) :
1 - Ce siècle commence à me viser
. 3 - Au point que je suis devenu objet de risée
3 - J’étais pourvu
8 - Je n’écouterai personne
33
18
Aqliy* am gider amerrzu
hesley deg-gwagu
aabdey imeçti d laayad
Asm’ iferr iw ijhuzzu
sewwqey d amenzu
s waffug zegrey agwemmad
A kra itauzzun iddullu
ikkes aney zzhu
lbaz neyben-t iyuzad 1 .
1. Le thème de l’aigle blessé est classique dans la poésie tradi¬
tionnelle. Voici un sizain répandu :
Aqliy’ am gider amcrrzu
i-ï-yuyeu de g* gwafriwcn is
Atmaten is ufgen ruhen
ittawi lewhi s wallcn is
Ay at leqlub leqqaqei
azent as d ddwa i wul is.
34
18
Aigle blessé me voici
Empêtré dans la brume
Voué aux larmes et aux cris
Du temps que planaient mes ailes
J’étais le premier à partir
A voler par-delà les mers
Saints qui donnez prestige et discrédit
Je répugne aux plaisirs
Depuis qu’à coups de bec
[les coqs attaquent les faucons *.
1. La symbolique animale traditionnelle distingue des espèces
nobles (le lion : izem, le tigre : ayilas, le faucon : lbaz, plus souvent
que l’aigle : igider), d'autres viles (la bécasse : aybub, le charognard :
isyi, le hibou : bururu). Le serpent (azrcm) est synonyme de ruse, la
perdrix (tasekkurt) représente la beauté, le pigeon (itbir, ahman) la
tendresse ; c’est aussi par excellence l’oiseau qu’on charge de tous
les messages, parce que son vol ignore les obstacles qui s’interpo¬
sent sur terre entre le poète et l’objet de ses vœux.
Sizain de l’aigle blessé :
Mc voici tel l’aigjc blessé
Touché aux ailes
Ses frères envolés sont partis
Il suit des yeux leur trace
Saints au cœur compatissant
Envoyez remède à son cœur.
35
19
Aqiay g lqern rbaàtac
ikfa wis-tlettac
a lhadeq fhem £hessis
Irbeh w illan d amâac
la ihedder ssettac
d lasel yeyba visem is
Qqwlen yer zzna bbwarrac
ikfa ddin ulac
cban tidma s tteryis.
22
Ddenya f medden tfusel
di lefhem yetnessel
zzwamel beddlen tikli
Kra bbw’ illan d lasel
di lyaba yehmel
aaryan talab’ ur telli
Lqern akk* i t id yersel
deg-wnezgum nehsel
mi nger aqeddam neyli.
36
19
Nous sommes au quatorzième siècle 1
Le treizième a pris fin
Esprit avisé écoute et comprends-moi
Les métèques ont prospéré
Ils parlent haut
Et des nobles le nom s’est perdu
On s’adonne maintenant à l’amour des garçons
On est sans foi ni loi
On va attifé comme une fille.
22
Le monde pour tous a explosé
C’est une vérité bien établie
Les canailles ont changé de conduite.
Tous les hommes bien nés
Dans les forêts se sont perdus
Nus sans nul vêtement de laine.
Ainsi Dieu a-t-il voulu ce siècle
Où englués dans l’inquiétude
A chaque pas nous butons.
1. Le XIV* siècle de l’hègire a commencé le 12 novembre 1882.
37
26
Naaf fell* 1 a Bentumi
d lwaad yettf iyi
ma yefley keç d aassas
Yir ccywel ula iwimi
yif it iyimi
akridi iteba it leflas
Lqum agi yeswehm i
i^uxxu s yimi
w* iylin a-H-ddun fellas.
33
Atas ay-guyen lmitaq
ddnub iâalleq
d ftbih izga yef iri s
Ur-k-ineq ur-k-iàatteq
d ssaâd is isaq
Rebbi yeiha deg ccweyl is
Ay ahnin issedharen lheq
fihel ma nenteq
amcum a t id yas wass is.
. Pour feiU.
38
26
Ben Toumi assiste-moi
Le destin s’est saisi de moi
Mais tu veilles sur mes déficiences
A quoi bon un travail qui n’en est pas un
Mieux vaut chômer
A force d’acheter à crédit on se ruine
Effrayante cette génération
Superbe en parole
Mais qui t’achève, si tu tombes.
33
Beaucoup qui ont adhéré à une confrérie 1
Ruissellent de péchés
Lors même que le chapelet ne quitte point leur cou
Ils ne te tuent ni ne te sauvent
Toutes leurs vannes fuient
Et Dieu s’occupe de régler leur sort
Dieu de bonté qui fait éclater la justice
Sans même que j’aie besoin d’ouvrir la bouche
Fais que du méchant le jour arrive.
1. Au milieu du XIX* siècle, sans doute comme contrecoup à
l’occupation étrangère, les confréries religieuses ont connu un re¬
gain de faveur Celle des Rahmanya en particulier a joué un rôle
essentiel dans le soulèvement de 1871.
39
37
La tamen ddenya la tdum
d mefruyt nnjum
ikerri tluqb it tayat
D lbaz izeggwiren i Iqum
yeffey d ameybun
bat tura seddu tesdat
Àklan issiriden aksum
s zzbel hacakum
ffyen d s llebsa n iqat
VARIANTE
DDunit a d m lehmum
nettat ur te^dum
d ikerri tberrz it tayat
Lbaz izeggwiren i lqum
ahat deg-wnezgum
d aklan a-grefden tacdat
D ifassen ige??ren aksum
d lfert hacakum
qqwlen ar llebsa n lqat.
40
37
Ne te fie pas au monde il ne dure pas
Il peut démentir ton étoile
J’ai vu la chèvre insulter le bélier
Le faucon qui allait en tête des foules
Aujourd’hui pauvre hère
Est devenu la proie des battues
Des bouchers 1 qui lavaient la viande
De sa bouse saur votre respect
Sortent maintenant vêtus richement.
VARIANTE
Le monde est lieu de scandales
Encore qu’il ne dure pas
J’y ai vu la chèvre encorner le bélier
Le faucon qui allait en tête des foules
Est dans l’aifliction
Les bouchers maintenant ont du crédit
Les mains qui débitaient la viande
Et sauf votre respect nageaient dans les tripes
Maintenant s'habillent richement.
1. La profession de boucher était décriée et exercée presque uni¬
quement par des hommes de statut diminué (akli veut dire ne même
temps noir, esclave et boucher).
41
39
Lqern agi yesserhab
deg rebhen leklab
te|j?em a Wlad-babelleh
S lmehna nnsen ay ncab
d rray iw iyab
semman i dderya m-Malah
Ggiy cci nett&l&b
mi d Uuday muhah
ccah a rray iw ccali.
43
Ddenya m bu yedrimen
la t tteyyiden
tinid a medden yeyra
D ihcayciyen ay-gendellen
si tmurt a yaben
wa d aàsekriw wa ibusa
42
39
Ce siècle épouvante
Qui fait le bonheur des chiens
Et qui vous a brisés enfants de la bohème
De les fréquenter a blanchi mes cheveux
Egaré ma raison
On m’a surnommé Fils de Hélas
Je renonce à ce que je convoitais
Puisque le Juif est craint
Tant pis pour ma raison tant pis.
43
Le poète entendait appeler Si Hamou un homme qui
navait fait aucune étude pour mériter ce titre de * Si » réservé
aux clercs. Il dit :
Le monde est à ceux qui ont l’argent
On leur donne du Monsieur
Tout comme si c’était des clercs 1
Les hachaïchis 2 ont été avilis
Bannis de ce pays
L’un dans l’armée l’autre en prison
1. On fait précéder le nom de ceux qui sont versés dans les scien¬
ces, en particulier théologiques, de la particule « Si » (Monsieur).
2. Le mot veut dire tout à la fois fumeur de hachich et bohème
noble et désintéressé. *
43
Tura ddenya bbuudayen
la ttemhawaden
ttaken a y duru s xemsa.
55
A kra iferzen id yef-fas
kulci tezmerm as
refdet a ssyadi lyemma
D ddeny’ i-graben f Usas
lfahem yesla-y-as
adrar yeyli d wa yef-fa
W* innumen laaz i^wakkes as
tbeddel felias
ttif Imut tudert am ta.
56
Helkey ur telli ssebba
nuday laulama
ur ufiy ddwa yursen
Tekka felli leywlaba
si tmurt m baba
rewlen laibad i-y-issnen
Nfiy d yer tmurt 1-lyerba
m* atrum a ttelba,
laaqul isenteqqiden.
44
Le monde maintenant appartient aux Juifs
Qui vont s’enjuivant l'un l'autre
Et nous prêtent de l’argent à cinq cents pour cent.
55
Puissances qui distinguez du jour la nuit
Vous pouvez tout
Messeigneurs dissipez la brume
Le monde est ébranlé jusqu’en ses fondations
Le sage l’entend bien
Les montagnes s’écroulent l’une sur l’autre
Tel qui avait coutume d’être honoré ne l’est plus
Son sort est bouleversé
Mieux vaut la mort que la vie que nous vivons.
56
Je suis malade sans raison
J’ai consulté les savants
Sans trouver remède auprès d’eux
Je suis écrasé
Du pays de mes pères
Ceux qui me connaissaient ont fui
Je me suis exilé en terre étrangère
Clercs pleurerez-vous
Esprits qui saisissez tout.
45
61
Tikli bbwebrid * a \ nensex
d adar iw yenfex
ccib deg-gudem iw ihreq
Itij ger wallen iw ifsex
s ssekra ndewwex
ul iw iby’ ad ifelleq
S kra- bbwi ggiy d imwesscx
tura yetneffex
iffey d issen ad isewweq
71
Aftaya ssura w tdub
cbiy Sidna Ggub
ttaafan yelbey amesmar
Kulci yur Rebbi mektub
ssàa ye^nub
ssâa ihedder i-wxessar
Yugi wul iw ad itub
ad fuken lâayub
alarmi d àadday Sancar
61
Il faut que j’écrive mon dernier voyage
J’avais le pied enflé
La barbe toute brûlée de cheveux gris
Le soleil palissait devant mes yeux
Assommés par l’ivresse
mon cœur était près d’éclater
Tous ceux que j’avais laissés souillons
Etaient maintenant pleins d’arrogance
Ils avaient appris à commander.
71
J’ai les membres tout meurtris
Me voici comme Job
Plus sec qu’un clou 1
Dieu a tout prédestiné
Un jour il vous assiste
Et un jour il contemple vos calamités.
Mon cœur rebelle au repentir
Refusait d’oublier ses vices
Jusqu’à ce que j’eux passé Saint-Charles 2
1. Variante :
Tel est mon état,
2. Saint-Charles : village de la région de Skikda (Philippe vil le).
47
D zzher iw ay d lmeqlub
kullas d lyuyub
isem iw ur iban laqrar
Si Skikd’ alarmi d Lexrub
di tmurt 1-Làurub
lhiy iberdan yef-dar
Ala àallam lyuyub
ay-gezran leqlub
içça yi ujajih n nnar.
73
Ferhen akw medden s laid
nekwni nessikid
veqber wul di lemhani
Agad thubbed a Lewhid
yran di ttuhid
fehmen irkwel lemaani
Ma d nek zzehr iw di lqid
aqli deg-gir brid
nectaq anwali lhenni 1 .
1. Variante de la 3 e strophe :
Ma d nek zzehr iw di lqid
aqli deg-gir brid
ternid id lmehna 1-lkif
48
Mon destin procède à rebours
Il me pousse à partir chaque jour
Et mon nom oublié s est perdu
De Philippeville au Khroubs
En pays bédouin
J’ai parcouru à pied les routes
Seul celui qui voit les choses cachées
Lit dans les cœurs
J’étais brûlé de flamme et de feu.
73
C’était l’Aïd chacun se réjouissait
J’admirais le spectacle
Le coeur gonflé d’affliction
Ceux que tu aimes mon Dieu
Y ont lu les livres saints
Ils en ont compris tous les sens
Moi mon bonheur dans les fers
A pris la voie mauvaise
Je languis de voir le henné L
1. Variante de la troisième strophe :
Moi mon bonheur est dans les fers
J’ai pris la voie mauvaise
Et tu m’ajoutes l’épreuve du kif.
49
75 75
Grey d nnehta s lyec
aqJay nedderwec
ntett lehram nettaammid
Je soupire oppressé
Me voici tout dément
Péchant sciemment
Albaad izha yetfehcec
ij-beddil di lqec
iyli di Ikeswa d ajdid
Tel se perd dans les plaisirs
A chaque instant change d’effets
Prenant chaque fois des habits neufs
Lamçi am nekwni ibec
f lbenk i nferrec
di iqahwa av neçça laid.
Mais sur moi Dieu a craché
Et c’est affalé sur un banc
Au café que je passe l’Aïd.
77
77
Laid d ttlata av nnan
ttelba veyran
widak "thabbed a Rebbi
L’Aïd c’est mardi disent
Les doctes clercs
Aimés de toi mon Dieu
Abaad yeçça \ deg-wexxam
iaagged s lewqam
ma yerna jjwag 1-laali
Tel en sa maison
Passe une fête heureuse
Surtout s’il a une femme agréable
Nekwni di Sidi Remdan
naammed i lehram
neyli di labsant sari.
Et moi rue Sidi Ramdane
Je péchais sciemment
En me noyant dans l’absinthe.
50
51
79
Qesdey di laid nn* a-n-nas
seg-gu! sebbeby as
tamurt ad-d-nzur iscm is
Gezmey limin dayen xlas
llebsa htaley as
qdiy d akw vefra cceywl is
Ziy ur iktib uâassas
ttwarzey a nnas
ur vemlik hed rray is.
80
Laid tamweqqrant tebbwed d
w* izhan issard d
w* isaan tahbibt a-t-yafer
Ma d nek ul iw indef d
d idrimen ulahed
izn w iyleb laawanser
Txilek a Balwa qerres d
Saadiyy* Afti-Mhend
a-t-tezzud deg laawacer.
52
79
J*avais décidé de venir à la dernière fête
Ma résolution était ferme
J*allais visiter le pays
J*en avais fait le serment définitif
Je m’étais procuré des vêtements
Fait toutes les emplettes jusqu’à la dernière
Mais tels n’étaient pas les vœux des saints
Hommes ils m’ont ligoté
Nul n’est maître de sa volonté.
80
Voici venue la grande fête 1
Les heureux prennent des habits nets
Qui a une amie échange avec elle le baiser du pardon
Moi la blessure de mon cœur s’est rouverte
Je n’ai pas d’argent
Et mes larmes coulent
[plus abondantes que les sources
Baloua 2 de grâce frappe
Fais que de Sadia Aït Si Mhand
Un jour de fête le cœur cuise.
1. Il y a deux Aïds : la petite qui clôt le jeûne du Ramadan, et
deux mois et dix jours plus tard la grande, où. l’on commémore le
sacrifice d’Abraham en égorgeant un mouton.
2. Marabout dont le sanctuaire se trouve sur la colline de ce nom
qui domine Tîzi-Ouzou.
53
84
Lâid tàadd’ am-madu
kullec yejfuku
yas Rebb’ ara d iqqimen
Albâad icedha seksu
ad yeç ad irwu
ad imyafar d ihbiben
Maççi am bu daâussu
di lyerba yetru
iâaggeden ger ibermilen
Ay atma widak nettu
nemmekti d nefcru
d ddeny’ ay gesnehwijen
Kul taswaàt nekwni ndaâu
yer tmurt annerzu
d aassas ay d isawlen.
85
Lefraq iyleb aven illan
Ay ul a-k-vurgan
wissen a lehbab m’anncmlil
Lyiba tdul ur nuksan
ur telli d ussan
ma ruy a medden akk’ ahlil
54
84
Elle est passée comme le vent TAïd
Tout a une fin
Et Dieu seul survivra
Tel privé de couscous
Rêve d’en manger à sa faim
Et d’échanger avec ses amis le baiser du pardon
Ce n’est pas comme le maudit qui
Dans l’exil pleure
Et passe la fête au milieu des tonneaux
Frères un instant oubliés
Je me ressouviens de vous et je pleure
Mais la nécessité m’a contraint
A chaque instant je fais des vœux
Pour retourner au pays
Où les saints me rappellent.
85
La séparation est le pire des maux
Mon cœur que d’épreuves t’attendent
Qui sait amis si nous nous reverrons
Mon absence longue malgré moi
Ne se compte plus en jours
Aussi hommes est-ce à raison que je pleure
55
Iyeblan Ixiq d wurfan
f Ixater iw zgan
yur Rebbi nerga ttawil.
86
Tcbaay itij s wallen iw
yer Igiha n tmurt iw
yer Iyerb iaadda isufer
Amek ara yezhu Ixater iw
ggiy n ihbiben iw
ttejra 1-îmesk d Iaamber
A Rebb’ ili di laawn iw
d amehzun wul iw
Iyerb’ ay \ irnan d ssber.
88
I{ru wul maadur yak xas
a-gaaddan felias
ijreh m’ara d iffekkir
A-gdur Lleh g Imeljna s
ne^naji kullas
ssaddat kbir u ssyir
Siwelt ay d neby’ a-n-nas
lyerba atas
iyab yisem iw ur vehdir.
56
Souci ennuis colères
Hantent mon coeur
De Dieu j’attends l'entremise.
86
Je suivais des yeux le soleil
En route vers mon pays
Il poussait vers l'Occident sa course
Comment mon cœur connaîtrait-il la joie
J’ai laissé là-bas mes amis
Parfums de musc et d'ambre
Assiste mon Dieu
Mon cœur endeuillé
Envoie-lui la patience comme remède à l'exil.
88
Mon cœur pleure et c'est à raison n'est-ce pas
Il a tant subi
Qu'il saigne chaque fois qu'il se ressouvient
Qui Dieu n’a-t-il pas éprouvé
Nous nous plaignons à Lui chaque jour
Et aux saints grands et petits
Rappelez-moi je veux revenir
Trop longue a été mon absence
Mon nom perdu s'est oublié.
57
93
Ay itbir a gm’ a k nissin
huz îegnah i sin
abrid ik ans’i d nekka
S leqlam aru tibratin
yer wanda {filin
lehbab akw d nefyama.
Ma llan igad iffethin
ard ay d mmektin
yefru wul tejreh tasu.
VARIANTE
A lbaz di lhedra {hessin
huz Iegnah i sin
ar t il ici seg Ikweyyas
Ttiled i wedrar akin
awi tibratin
mkul ahbib hku vas
Ma llan leqlub ijhinnin
ard ay d {mektin
aqcic lyerba Ihekm as.
58
93
Ramier mon frère que je t’éprouve
Balance les deux ailes
Et prends le chemin du pays d’où je viens.
Tiens la plume adresse des lettres
Là où sont
Les amis avec qui j’allais
S’il en est qui ont quelque pudeur
Qu’ils se souviennent de mon
Cœur en larmes de mon âme blessée.
VARIANTE
Faucon écoute bien mon message
Avant de déployer tes deux ailes
Sois de ceux qui comprennent
Par-delà la montagne
Emporte mes lettres
Et raconte à chaque ami
S’il est encore des cœurs qui s’attendrissent
Qu’ils se souviennent de moi
Enfant prédestiné à l’exil.
59
99
A l a wul iw ittemhcbbar
Si Ikif d lexmer
ay fkiy leby’ i Ixaler iw
Usiy d aqli d atiyvar
a Ifahmin lehrar" *
dhiy-d d ayrib di tmurt iw
Asmi Iliy bàadey laqrar
ur bbwiy lâar
tura venguga wu] iw.
102
Wehmey acu d lgil a
i d ikkren tura
i tteqsar i-y-{hibbin
Mi nekker annebdu lqessa
inin maçç’ akka
awi-y-ay d af tehdayin
Audden ur ay hwint ara
tid immden swaswa
ggant ul iw d amudin
Mi t luaay trekb i lherna
amzun d zzayla
yuyen tannumi t-temzin.
60
99
Mon cœur est tout agité
De kif et de vin
Tant je me suis accordé tous les plaisirs
Me voici tel Toiseau de passage
Cœurs perspicaces et bien nés
Etranger dans mon propre pays.
Du temps que jetais loin perdu
Je n ai pas accepté l'opprobre
Maintenant mon cœur branle.
102
Etonnante la génération
D'aujourd'hui
Qui ne m'aime que pour ses plaisirs
Dès que je commence un poème
On me dit Non
Chante-nous les filles
Ils me croient insensible
A celles qui ont bien poussé
Quoiqu’elles aient causé mes maux.
Dès que je lui 1 adressais la parole
[ma langue devenait rétive
Ainsi la bête de somme
Habituée à sa ration d’orge.
1. Ce pronom (féminin singulier dans le texte berbère) désigne
la fille que le poète poursuit de scs vœux.
61
107
Laamer ur ineqqes ur iççad
a Lguher urÿagwad
seg ul im kkes ttexmim
Ay ahnin ay ajewwad
a fettah lubab
rfeq yef tuzyint Jyim
Taqcict afta deg lhisab
bezzaf tennaatab
a ccix Muhend-u-Lhusin.
109
Ataya wul iw inug
am îehher yetmuj
yef tin àazizen felli
Dehbiyy* asegmi 1-leslug
igman di lemrug
tezweg yer wcdrar tu li
62
107
Eldjhouher, que le poète semble avoir en vain poursuivie
de ses avances, est depuis longtemps dans Us douUurs de l'enfan¬
tement, en vain, Elle sait d'où vient U mal, et fait appeler Si
Mohand, qui dit ce poème ... et l'enfant vint.
Les années imparties n augmentent ni ne diminuent
N’aie point peur Eldjouher
Chasse de ton cœur toute inquiétude
Dieu noble et bon
Toi qui ouvres les voies
Dissipe la brume pour la belle fille
La voici dans la géhenne
Et par trop éprouvée
Cheikh Mohand-ou-Elhocine.
109
Mon cœur lamente
Houleux comme la mer
Pour la fille de moi aimée
Dabhia tige d’asphodèle
Poussée dans les prés
S’est mariée Elle s’en est allée dans la montagne 1
1. Le village de Mohand cît dans la zone de piémont qui flanque
au sud la crête de Fort-National.
63
Ma t-tura rrehl is iggug
titbirt yef ttrug
tegga azniq d ixali.
114
U1 yehlek udem iw idaaT
a lwaad m* iv* ittef
ulac igad iy’ icfan
Win tufid ad itkwellef
nuday J id si tterf
Leqbayol akw akken llan
Indel w illan d làaref
iheggan lherf
hefden ttuba vidan
Ttewtey am-zrem s iyef
Aani day nunef
waqila iyleb i ccitan
Mi [ seggmey tàawj i yer tterf
av wehmey acuyef
Imehna teywzi bbwadan
Tebàaj lhejl* a \ nettef
nek Auddey atwalef
nettat tebya d w’isAan.
64
Ore est partie la caravane
De la colombe haut perchée
Et la rue derrière elle est restée vide.
114
Le cœur malade le visage maigri
Je suis prisonnier du destin
Nul ne se souvient plus de ce que j’ai été
Le premier venu a le pouvoir
J’ai parcouru de part en part
l^e pays kabyle tout entier
Eclipsés sont les sages
Qui ont étudié tous les écrits
Et les chiens ont appris la dévotion
On m’a comme le serpent frappé à la tête
Me serais-je fourvoyé
Satan sans doute s’est joué de moi
Sitôt redressé mon état de nouveau penche
Et je me demande étonné
Pourquoi les épreuves les nuits longues.
J’ai poursuivi la perdrix 1 sûr de l’atteindre
Et à la fin l’amadouer
C’est un homme riche quelle veut.
1. La femme aimée.
65
118
Aqliv* am zerzur newqef
ihuza yi ccdef
d Rebb’ a graden ur nuksan
Aacqey di zzin laali 1
ur yugad Rebbi
ay cabey nek d amezzyan
Lhiy agris d lyali
ur iban felli
anda ddiy zzwamel qwan
122
Tasedda iraàden tuywas
zdat At-Aabbas
mi s nnan medden nerhel
M timmi taakef am leqwas
amzur ar ammas
tibbucin is d ifelfel
Melt iv’ anida lhara s
ard rzuy fellas
ma âreqey as ad ii taâqel.
1. Changement de rime rare chez Si Mohand.
66
118
Me voici comme l’étourneau cloué
Par des liens trop lourds
Dieu l’a voulu Je n’y puis rien
L’amour d’une beauté sans égale
Mais sans pitié
M’a fait les cheveux blancs malgré ma jeunesse
J’ai marché dans le gel et la nuit
Sans qu’aucune lueur luise pour moi \
Où que j’aille pullulent les vauriens.
122
La lionne rugit et hurla
Devant tous les Aït-Abbas
Quand elle apprit que j’avais décampé
Elle a sourcils arqués
Cheveux jusqu’à la ceinture
Seins pimentés
Où est sa demeure dites-moi
Que je m’y rende
Elle se ressouviendra si même elle m’avait oublié.
67
123
Nek idem a tuzvint lefraq
yerreb ney cerreq
Ixedâa ssgem ay d ekka
Afwad im fellam yehreq
d iyes iceqqeq
Ihub iw degm iwekka
Yak tura yedher nefreq
nezga d nàawweq
bettu cubay t d azekka.
124
Ataya làaqel iw yesleb
d lmehna w tesâab
sàiy lâib nhemmeq
F tuzyint nug’ anjaneb
d rray yeddebdeb
g lhal nezga d nâawweq
Irtah win ur njerreb
lefraq ay gesâab
d wi àazizen s laâceq.
68
123
Belle fille quittons-nous toi et moi
Prends vers Touest ou prends vers Test
De toi est venue la tranison
Mon cœur pour toi brûlait
Mes os se fêlaient
En toi mon amour était enté
Notre dissentiment est maintenant évident
J’en suis tout stupéfait
La séparation est amère comme la tombe.
124
Mon esprit est tout égaré
Ma peine rude
J’ai le défaut d’être passionné
Je ne puis me séparer de mon aimée
Ma raison assommée
Se trouve ainsi prisonnière
Heureux qui n’a pas éprouvé
La dure peine d’aller loin de
Qui l’on aime d’amour.
69
125
Lherf iw idda f ssad
yak Rebb* iwessa d
w iâacqen di zzin merhum
Nek akw t-taâzizt nemsebda d
si lqum ahessad
usrey am yitbir aksum
Tura mi-y-uyey lurad
ggiy Ifisad
qqwley la ttabâay ayrum.
136
Zziy legnan d imselles
kulci yella dges
zerrbey-t id xedmey-t s-lmul
Ixled iTemman d ifires
kul tejra la ttes
ay-gziden degs a iemkul
Tura mi d nnejm is vaâkes
d aybub la s ikes
berka rriy tadimt i wul.
70
125
Mon poème prélude en S
Dieu n a-t-il pas promis
Sa grâce aux amants
Mon aimée et moi nous avons rompu
A cause de ce siècle jaloux
Et me voici comme un pigeon décharné
Maintenant je me suis rangé à la dévotion
J’ai renoncé aux péchés
Et je cours après le pain.
136
J’avais planté jardin ombreux
Pourvu de tout
Clos et cultivé avec soin
Grenades et poires s’y mêlaient
Chaaue arbre y était irrigué
Combien de doux fruits s’y pressaient
Maintenant c^ue le destin m’est contraire
Une bécasse s en repaît
Assez J’ai scellé mon cœur d’une dalle.
71
138
Zziy legnan d amezzyan
af terga bbwaman
traguy t ad innerni
Rriy as lesdud qwan
mlalen isegman
iger d lheb d afrari
Ibbwa d ad jahden vidan
d zzehr ay saan
stafirelleh a Rebbi
139
Zziy legnan s lxetvar
qwan degs lenwar
s kr i d dekkren yilsawen
Laâneb lehmerbwaàmer
lxux am làamber
lehbeq d Iwerd mlalen
Yak nedder ywezzif lâamer
alarmi nehder
ksan as imeksawen.
72
138
J’avais jardin de jeunes plants
Le long du canal
Et j’attendais qu’il eût grandi
J’y menai l’eau de barrages abondants
Les pousses en vinrent drues
Les Fruits s’y pressaient
Il mûrit... Ce fut pour le bonheur des chiens
Servis par leur chance
Pitié mon Dieu.
139
J’avais planté jardin exquis
Empli de toutes les fleurs
Que les langues peuvent évoquer
Raisin rouge
Pêches d’ambre
A côté du basilic la rose
N’ai-je pas assez longtemps vécu
Pour voir de mes yeux
Les bergers y mener leurs troupeaux.
73
146
Wi yewten deg ney lasmah
deg-gul av nejreh
armi la nzehhu s nneqma
D lâaceq i-gezzelgen lervah
lamçi day njah
ur iksan hed lewqama
Tebâay rray iw isah
di lmehnat yenseh
larmi d vegwra deg nndama.
151
A sseltan bab 1-lkwelfa
dàay k s ccurafa
si Balw’ ar Ssi Hend Wedris
Igad ixeddmen s ssfa
iheddren di Ibadna
mkul ssid s visem is
Aqcic d Ifahem yeyra
di lwaâd iweffa
terred as d imeddukal is
74
146
Quiconque me blâme qu’il soit sans pardon
Ma blessure est intime
Et pour cela je m’adonne aux plaisirs par défi
La passion a gauchi ma volonté
Ce n’est pas que je sois pervers
Nul n’a le mérite de ses vertus
J’ai suivi ma raison Elle s’est égarée
S’est enfoncée dans les épreuves
Avant de finir dans le repentir.
151
Maître à qui va toute fiance
Je t’invoque par les chorfa 1
Depuis Baloua jusqu’à Oudris 2
Par les saints aux actes purs
Associés aux divins secrets
Appelés chacun par son nom
A l’enfant intelligent instruit
Fidèle à la promesse
Rends ses compagnons
1. Pluriel de chérif, descendant du Prophète.
2. Sidi Ahamed Oudris, saint des Illoulen-Oumalou, entre le
col de Chellata et celui de Tirourda.
75
Ata wul iw yctfafa
immuyben verfa
ihar meskin deg lâamer is
Busan tarrawt n ccerfa
meccden lhelfa
Ay gxeddem Lleh g ccan is
Texled tirect d ukwcrfa
akk’ ay \ vufa
uhcavci deg-gwawal is.
166
Ihlek wul qrib nemmut
zzav felli lqut
nekwni f ssebb* ay nella
Di yir awal nesmuzgut
ar degs nesnunnut
armi-i vuyal d làalla
Ad ruhey ad beddley tamurt
a lfahmin cfut
amkan {raguy yexla.
76
Mon cœur sans cesse tressaille
Et chagrin irrité
Est le pauvre pressé de rendre 1 ame
On a condamné les fils de chorfa
A peigner Talfa
De par ta volonté mon Dieu
Mêlés sont le grain et Tivraie
Ainsi le proclame
Et son dit le hachaïchi \
166
Malade est mon cœur et j’ai manqué mourir
Toute nourriture m’est amère
Il suffit d’un rien...
J’entendais propos malveillants
Et les ruminais
Comme un boulet en mon ventre
Je vais partir et changer de pays
Hommes sages souvenez-vous
Vide était le lieu de mon attente.
1. Ce poème a été composé lors de la détention en Corse de Si
Belkacem, un des compagnons de Mohand, condamné pour avoir
tué un soldat qu il avait trouvé devant sa porte.
77
176
Auhdey tikli d lemselmin
at wachal d ddin
widak ur nesài lmedheb
yer làar ay saan tismin
s yisey ftethin.
Ay ul iw berka k leyseb
Mi teyiid hed ur k issin
medden akw d lkaràin.
Akk' axir ilha wjerreb.
190
Qessam agi d bu tlufa
yen d yestufa
a s tinid nyiy baba s
Albaad zzin d ssifa
lgud lehlawa
kulhed ifka-y-as ayla s
Nek i-y’ igga d akwerfa
isers it g lqàa
inna vi ddem it ney anef as.
78
176
Je le jure je ne fréquenterai plus les Musulmans
Ils ont tant de fois
Et pas de principes
Ils rivalisent dans l’opprobre
Ils ont honte de la vertu
Cesse mon cœur de t’en indigner
Nul ne te connaît quand tu tombes
Tous les hommes sont faux
Mais tant mieux toute expérience est utile.
190
Dieu qui se plaît à poindre
Ne s’occupe plus que de moi
A croire que je lui ai tué son père
L’un a teint éclatant beauté
Noblesse et urbanité
Chacun selon son lot
A moi il a gardé l’ivraie
Il l’a posée à terre
Et puis m’a dit Prends ou laisse.
79
191
Aw’ 4run ard idderyel
Mi \ jemâay tennyel
wehmey ans’ iy’ id àakes
Qessam agi d zzamel
kulyum d ahellel
dayem ne^naji yures
Ifka i w-ur-aeili d lefhe!
issager qwrenfel
Nekwni di lkur ay nettes 1 .
199
A Lleh kec d arezzaq
isidiren ineq
kul yiwen iàac di tmurt is
Albâad tefkid as lerzaq
kul lgiha ixerreq
tasekkurt deg-gwexxam is
Albâad terri-t i lemcaq
zzelt u laàceq
yusa d d lyayeb rray is.
1. Boulifa (152) donne une version qu’il suppose être une va¬
riante d’un poème de Si Mohand :
5 - rgiy t yaattèl
7 - Albaad ifka-y-as d lkamel
di rrezq d axemmel
nek yefka yi d d nnaqcs
80
191
Ah pleurer jusqu’à en perdre la vue
Mon vase si tôt empli verse
Je ne sais d’où me vient le tort
Ce Dieu est un être abject
Je l’implore chaque jour
Chaque jour je me plains à lui
Il comble les fripouilles
Les gave de parfum de girofle 1
Et moi je passe la nuit dans une écurie 2
199
Mon Dieu tu es le dispensateur des richesses
Tu fais vivre et mourir
Tu permets à chacun de vivre en son pays
A l’un tu as donné les biens
En tout lieu foisonnant
Et dans sa maison la femme aimée
Tu as condamné l’autre à la détresse
A la misère et à l’amour
Tu as égaré sa raison.
1. Les clous de girofle, tels quels (aaqqa n qrenfèl) ou réduits en
pâte (ssxab), sont fort prisés des femmes, qui en mettent en parti¬
culier dans leurs colliers (tazra n ssxab).
2. Variantes Boulifa (152) :
5 - Je l’attendais mais il se faisait long
7 - A l’un il accorde tous
Les biens en vrac
A moi il a donné parcimonieusement
81
205
Ddunit a d lmeyluq
laabd akw mehquq
ulac winna yethennan
Albaad iketb it merzuq
irkwelii mesduq
iaac ur isai legnan
Lmelk yusa d kul ssuq
la iferreq lhuquq
lkutub akk’ ay d nnan.
207
Lefhama win mi £ ifka
teyleb ttrika
abaad meskin d igellil
Bab is ibbwi lbarakka
ihedder s ssfa
ur ixeddaa ur ijhevyil
Maçç’ am in tebbwi lhawa
la ddin la lmilla
mi % iaabb' ad as tmil.
82
205
Ce monde est une geôle
Où chacun est justiciable
Où nul ne jouit d’un bonheur tranquille
L’un promis à l’opulence
Et crédit plein
Vit sans même avoir un jardinet
L’ange parcourant les marchés
A chacun a donné sa juste part
Ainsi disent les livres.
207
Mieux vaut avoir reçu l’intelligence
Que la fortune
D’autres pauvres d’eux en sont dépourvus
L’homme intelligent est béni
Il parle en toute vérité
Il ne trahit ni ne ruse
Un autre esclave de sa fantaisie
N 1 a ni religion ni principe
Ses projets croulent aussitôt que dressés.
83
217
A Qessam a bu ttemrit
tenyid i s tissit
berka k ttiha tura
Lukan d ccraâ naâtad it
Ay gebyu nefk it
Tenqett iyi ger lâamma
A Rebbi w iwten jerreb it
di tullas herrem it
shedr it i wuzu n tasa.
219
Annay a Rebb’ ar k nyid
aqli am in tenyid
yif iyi âad s rraha
Saura w tetquddur d nnfid
irkebiyilyid
Lhem ittef i seg ddbiha
Sber ay ul ul’ ay tinid
d nnuba bbwiyid
knu atâaddi Imehna.
84
217
Dieu d*affliction
Tu m’as tué de boisson
Assez maintenant de te jouer de moi
Si c’était affaire de justice je l’aurais entreprise
Quel qu’en fût le coût
Car tu m’as frustré parmi les hommes
Quiconque me blâme mon Dieu éprouve-le
Prive-le de filles
Mets-lui douleur cuisante au cœur.
219
Las pitié mon Dieu
Je suis comme celui à qui tu as envoyé le mort
Encore a-t-il sur moi l’avantage du repos
Mon corps comme cire dégoutte
Tout chargé de misère
Les malheurs me prennent à la gorge
Tais-toi mon cœur tu n’as rien à dire
C’est maintenant le tour des autres
Plie que passe l’épreuve.
85
225
Lukan d rray ur itlif
ad aahdey Ikif
sbeslen iqewwaden
Kul tamurt ibda-f s lhif
isserbeh lewsif
igwra d w’illan d lfahem
A Rebbi sefd ay lhif
a-k-in yawed nnif
tura d nnuba igellilen.
226
Maççi d jjih ay njah
a ssyadi ssellah
t-tagwniÇ i gbeddlen feilay.
Asmi yi d hubben leryah
refden ay lemlah
mekkul leblad ssnen ay
D zzman i-y-iggan neftleh
welleh ma neççeh
annesber i Iwaad ma yutlen ay
Kra yewten degney lasmah
ad yuyal ssbeh
ad yeblu s lehlak nney
1
86
225
Si ma raison n était point égarée
J’aurais juré de renoncer au kif
Galvaudé par les proxénètes
En tout lieu Dieu a fait des partages affligeants
11 a fait le bonheur de l’esclave
Et jeté au rebut l’élite de l’esprit
Efface mon Dieu notre misère
Tu y es tenu
C’est maintenant le tour des malheureux.
226
Ce n’est pas que je sois perdu
Saints patrons
Ce sont les temps qui ont changé pour moi
Lorsque les vents m’étaient favorables
J’étais choyé de l’élite
Et en tout pays renommé
Le siècle m’a condamné à la honte
Mais par Dieu qu’importe
je prendrai en patience mon destin malade.
A qui me blâme point de pardon
Un matin viendra
Où il souffrira de mon mal même
87
Ma n nekwni tur* anncrbeh
a tas ay nejrelt
bbwden lehdud fellaney.
228
Ataya wul iw yuydad
a Hebbi tdalmcd
kfant Ichwayeg nelsa
Dcg zik inu d ttaleb
n settin hizeb
lketba w di Imadersa
Tura imi ncab nyelled
s ccrab la nxelled
atnaared a Sidi Musa.
233
Laayub tragun tewser
a Ifahem a-k-nendcr
wi mezziycn ad i fa res
88
Quant à moi maintenant je vais être heureux
Trop longtemps j'ai été blessé
Le terme de mes épreuves est échu.
228
Mon cœur sur soi-même s'apitoie
Tu le sais mon Dieu
Les habits que je porte sont usés
Jadis j'étais clerc
Aux soixante sourates
J’étudiais dans les medersas
Maintenant vieux et dévoyé
J'arrose de vin mes repas
Sidi Mousa 1 secours-moi
233
Les tares attendent la vieillesse 2
Sage que je t'avise
Profite des plaisirs tant que tu es jeune
1. Sidi Mousa, saint dont le sanctuaire se trouve à Tinebdar, vil¬
lage de la région de Sidi Aïch. On y trouve une école koranique
renommée.
2. Expression proverbiale courante.
89
Ilha w’iteddun s nnder
ddunit tewaar
win t itbaan ad as tames 1
Antelb Rebb* ad ay vesser
iaaffu iyeffer
rrehma deg-wfus ines.
234
A kra issehlan sidna Ggub
ssura s tdub
sehlut i ula d nekkini
Daay k s at hel lqurub
iyran di lkutub
ptilek a Lleh dawi yi
yer ccib hedfen d laavub
sura w tdub
Uaa inek a sidi Rebbi.
1. Variante :
zwir i; qebl a-k-tames.
90
Procède avec discernement
Apre est le monde
Il marque quiconque s*adonne à lui 1
De Dieu j'invoque l'assistance
Le pardon la miséricorde
Il tient en sa main la Grâce.
234
Puissances qui avez guéri Job
Et son corps meurtri
Guérissez-moi aussi
Je t'implore par ceux qui sont proches de Toi
Et ont étudié les livres
Mon Dieu de grâce sauve-moi
Les tares fondent sur ma vieillesse
Et mon corps est morfondu
Seigneur Dieu que Ta volonté soit faite.
1. Variante :
Préviensda avant qu elle ne te souille.
91
235
Ad awen hkuy a Ifehham
yeyli d felli ttlam
t-tidet maççi d lekdeb
Aqliy* am yisy’ agugam
m 3 aàguzit leklam
a Sidi Sàid-u-Taleb
Ncab ur nesâi axxam
ndàa ger Lislam
a lehbab Llehyaleb.
236
\V ibyan Rebb* a i iwehhed
di Muhend-u-Mhend
meskin iàawj rray is
Iyra Leqwran ijewwed
di zik is yeghed
tara la ireffed s wallen is
Waqila ssfer iqerb d
aàwin ulahed
siw* asebsi d arfiq is.
92
235
Sages que je vous instruise
Les ténèbres ont fondu sur moi
Je vous le dis en vérité
Je suis comme le vautour muet
Dont sont noués les mots
Sidi Saïd ou Taleb 1
Je n ai point de logis en ma vieillesse
Je suis au rebut parmi les musulmans
Amis la volonté de Dieu est la plus forte.
236
Qui veut méditer Dieu
Regarde le pauvre Mohand-ou-m’hand
Dont est dévoyée la raison
Il avait étudié le Koran l'avait psalmodié
Il était jadis vigoureux
Et le voilà qui ne peut plus que lever les paupières
Le départ est proche je crois
De provisions point
Et pour seul compagnon sa pipe.
1. Marabout des environs de Michelet.
93
237
Abrid a nqaad ï\ i rrwah
lehbab annemsamah
tamurt a njerreb 4* merra
yer Tunes neby’ anserreh
anzur ssellah
d ssaddat Lhurawa 2
l\ru wul tasa tejreh
ters d yef cceh
anettef lkuraj tamara
A Ibudala d sseyyah
a ssaddat lemlah
nedhey yesswen deg tmura
D kra ye^hubbun leryah
Fsit ay legnah
beddlet fellay lihala.
1. Variante : snesdey f (J c l’ 1 * passée au crible).
2. Variante : lhurufa (lettrés).
94
237
Cette fois c’est décidé je vais partir
Amis pardonnons-nous 1
J’ai tout appris de ce pays
Je veux faire route vers Tunis
Y visiter les lieux saints
Et les sanctuaires Houraoua 2
Mon cœur pleure mon âme est blessée
Le mal a atteint les chairs vives
A grand-peine je tiens ferme
Possédés de Dieu et vagabonds
Saints vertueux
J’en appelle à vous par tous pays
Puissances qui faites souffler les vents
Libérez nos ailes
Faites-nous neuves conditions.
1. Quand un homme se trouve dans un état où il risque de trou¬
ver la mort, il est d’usage qu’il sollicite le pardon des survivants et
qu’il leur accorde le sien.
2. Terme inconnu par ailleurs. La leçon peut être incorrecte. La
variante : lhurufa, introduite sans doute parce que la première était
incompréhensible, n’est guère satisfaisante.
I
95
239
Aqliyi la shumsusey
tinid day sekrey
aani neswa d ur nezri
Laaqel iw ur-t-mlikey
aqliyi ddrewcey
win yadey a d yerzu felli
Ma d nek abrid’ ad ruhey
wis m f ad d uyaley
w* illan d ahbib isemmeh i.
246
Si Tedmayt s At-Buxalfa
ssura w tekfa
la zzuyurey g imaniw
Irekb iyi lyec nerfa
rwiy tilufa
aqli harey di làamer iw
Ziyemma tirga mxalfa
a lfahmin necfa
dhiy-d d ayrib di tmurt iw.
96
239
Me voici tout bredouillant
Et comme ivre
Aurais-je bu sans m’en rendre compte
Je ne suis plus maître de ma raison
Me voici tout fou
Venez à moi vous qui m’aimez
Cette fois je m’en vais partir
Et qui sait si je reviendrai
Mes amis pardonnez-moi 1
246
Entre Tadmaït et Boukhalfa
Mes forces étaient épuisées
Je ne faisais plus que me traîner
J’étouffais de colère
Et repu de souffrances
Il me tardait de rendre l’âme
Mais vrai les rêves s’interprètent à rebours 2
Sages il m’en souvient
J’étais devenu étranger dans mon propre pays.
î. Voir n° 237, note 1.
2. Tirga mxalfà, expression consacrée : allusion à la croyance qui
veut quon doive interpréter les rêves en prenant le contraire de
leur sens apparent.
97
250
A sseltan deg Aamrawa
a Sidi Balwa
a mul ssengaq muhab
D amudin fekt iyi ddwa
yurek ay d nenwa
ay ahnin deg nettalab
Fak felli Ikif d ccira
tebbw‘ iyi zzehwa
si temzi alarmi ncab.
253
Si Aadni armi d Larbaa
trekb ii lxelaa
d nek i-gnudan fcllas
Aqliy* usiy d s ttaa
qqwley d Iqaa
mekkui ssid hkiy as
Tamurt agi d lbidaa
ffyen akw si ccraa
abrid a qdaay lavas \
1. Variantes Feraoun {Voyage, 10)
5 - Neqqley d\ Iqaa
menkulhed hki as.
98
250
Prince du pays Amraoua 1
Sidi Baloua
A Tétendard redoutable
Je suis malade apporte-moi remède
A toi compatissant vont ma foi
Et mes vœux
Guéris-moi du kif et de la cocaïne
J*ai été livré aux plaisirs
Depuis mes jeunes ans jusqu’à la vieillesse.
253
Entre Adni et Larbaa 2
J’ai été saisi d’épouvante
Mais je l’avais bien cherché
Je venais humble
Et à terre soumis
A chacun de dire mon sort
Mais ce pays d’hérétiques
Est sorti de la Voie
Cette fois j’ai fini d’espérer 3
1. Amraoua. Ensemble de tribus makhzen installées par les Turcs
autour de Tizi-Ouzou. Le nom a fini par désigner la région même
quelles occupent.
2. Larba-nat-Iraten : Fort-National.
3. Variantes Feraoun :
5 - Planté à terre
A chacun je racontais mon aventure.
99
254
Tamurt yeznuzen aaqquc
cnayet di laaruc
si Larbaa terred d asawen
Akken kesben akerruc
nnefqa d lekruc
Ixligen d Icerriden
S kra bbw* illan d akehluc
tura s kalabuc
rnan itabaniyen
At lgawi d hmimuc
qqwlcn d iewhuc
uyalen akw s lemxazen.
255
Ata wui iw iheggei
di ssfer a iaàjjel
Midi ad àaddiy syinni
Tamurt a ziy tbeddel
bbwin t zzwamel
widak kerhey zikenni
100
l
254
Ce pays de vendeurs de verroterie 1
Est célèbre parmi les tribus
En amont de Larba
Leurs champs sont de chênes
Et leur viande des tripes 2
Les gens d’Ikhelidjen et d’Icheriden 3
Tous les noirauds de jadis
Maintenant portent fez
Et turbans fleuris
Les marchands de benjoin et fards
Désormais inspirent la terreur
Ils possèdent des magasins.
255
Le coeur serré
Je me hâte vers
Michelet où je dois passer
Mais ce pays a changé
Il est devenu la proie des gredins
De ceux que jadis j*abhorrais
1. Beaucoup de Kabyles de Haute Kabylie émigraient dans la
plaine comme colporteurs de menue marchandise.
2. Le gland de chêne et les tripes sont nourritures de pauvre.
3. Deux villages sur la crête qui relie Fort-National à Michelet.
101
Tamàaict tesâab .af lefhel
teqqwl as d ifelfel
irwa zzâaf d lehjani.
263
Àqlay nebbwed d yer Lqalla
ttama 1-lehdada
aawin yellan nfuk it
Wehmey ayagi d nelha
tebàad Larbàa
adu 1-lehbab nectaq it
Lexbar siwed it i yemma
ma d mmim venfa
yer tmurt taberranit.
264
Aqlay nebbwed d yer Tunes
rwiy d ahewwes
caylelleh a ssalhin n tmurt
Seg-wyebbar aqlay numes
ssura terqaqes
si âaggu rzag lqut
agwlim a-gezdin iyes
neggumm* annettes
wâalelleh attifrir tagut.
102
Et au preux l’existence est ardue
Et âpre comme le piment
Il se gave de colère et de désespoir.
263
Me voici parvenu à La Calle
Près de la frontière
Toutes mes provisions sont épuisées
J*admire tout ce que j’ai marché
Depuis Larba
J’ai la nostalgie de mes amis
A ma mère porte la nouvelle
Que son fils est exilé
En terre étrangère.
264
Me voici parvenu à Tunis
Repu d’ errances
Salut à vous saints du pays
J’ai le corps tout souillé de poussière
Frissonnant
Et si las qu’il répugne à toute nourriture
Ma peau colle sur mes os
Je n’arrive pas à dormir
Mais grâce à Dieu ce mal comme brume passera.
103
266
Lherf a-t-refdey memhus
saben yir legnus
qlil w’ illan d laali
\V* ur nesai tagma{ mexsus
am bu viwen ufus
maadur ur yesai lwali 1
Yir tagmat am kalitus
ma ywezzif messus
mbaaid a-gerra tili.
1* Variante, qui semble plutôt une bonne imitation
1 - Aqliy’ a Ifahmin mewsus
lgil d amenhus
lihala w mazal tehli
Ata wul iw yeshumsus
d amehzul ihus
ur d dri d hed akkagi
104
266
A Tunis, Si Mohand est accueilli sans excès de tendresse
par Akli, son frère , qui pourtant n’ose pas lui refuser l’hospita¬
lité. Akli est devenu un citadin de Tunis . Si Mohand ne voit pas
sa femme qui d’ailleurs demande ce que ce va-nu-pieds est venu
faire à Tunis. Un soir, le poète refusant le dîner qu’on lui servait
seul se rend au café, où on le trouve fumant sa pipe de kif II va
dès lors composer des poèmes qui sont de véritables satires . Il les
fait placarder, transcrits en caractères arabes, au café où toute la
colonie kabyle de Tunis peut les voir.
Je vais le composer bien net
Il y a foison de male engeance
et peu d’honnêtes gens
Qui n a point de frères est démuni
Il est comme le manchot
Privé d’appui le malheureux 1
Les mauvais frères sont comme l’eucalyptus
Il est haut mais sans fruit
Et son ombre porte au loin 2
1. Variante :
1 - Sages me voici démuni
En ce siècle jaloux
Mon sort n’es point encore remis
Mon coeur murmure
Miné par un mal
Avant moi inéprouvé.
2. Comparé aux arbres des forêts kabyles, l’eucalyptus est un
arbre haut, dont l’ombre porte loin du tronc. Ainsi les mauvais
frères accordent leur aide à des hommes qu’aucun lien de parenté
ne lie à eux.
105
268
Taudded d rray ixuss i
mi tbaay asebsi
tehsebm i g-gwid immutcn
Ggulley ur neçç’ imensi
nedha d netqissi
a wen nini lehdur nessen
Ilsa Igebba yef Ikursi
auddey n At-Qasi
ziyemma d Aali Ggirjen
Lemhibba* yidwen texsi
Ma kan ma twasi
la keç la gma briy awen.
106
268
Tu croyais que citait par déraison
Que je m’adonnais au kif
Et à vos yeux j’étais mort
Si je refusai votre dîner
C’est que je pesais
Les mots que j’allais vous dire
L’un de vous était assis sur une chaise
[dans sa longue robe 1
Je le prenais pour un Aït-Kaci 2
Et c’était Ali d’irjen 3
Entre vous et moi morte est toute tendresse
Irrévocablement
Et tant mon frère que toi je vous répudie.
1. La gebba tunisienne est un habit de citadin.
2. Noble familie de Tamda, renommée en Kabylie.
3. S’il était de noble race, on l’appellerait du nom de sa famille
et non de celui de son village.
107
270
W ibyan Rebb’ a t iwehhed
di Si Muh-u-Mhend
yahe^rah deg zik ines
lyra leqwran ijewwed
Sidi Xlii ighed
maatbaren di zzin ines
Ziyemma Rebbi ijerred
dexxwan akw d ccerh
d lkif ay d Iqut ines
À k. iniy awal hess ed
Rebb’ akk’ a-gjerred
maççi d Ifehm ay nxus
Ssney ayen ur issin hed
ul'ay d naiwed
nennum nreffed Imexsus
Umney s Rebbi wahed
tagmaf ulahed
annerwei qbel annimsus 1 .
1. Variantes :
10 - W’ibyan ad-d-iscl yesl cd
15 - Lemhayen atas maççi drus
16 - Yif w’issnen Rebbi wahed
108
270
Qui veut méditer Dieu
Regarde Mohand-ou-rn hand
Hâas en son temps jadis
Il avait étudié le Koran l'avait psalmodié
Il était versé dans Sidi Khelil 1
On s'émerveillait de sa beauté
Mais Dieu lui avait destiné
Tabac et vin
Et kif pour sa nourriture
Ecoute que je te dise
C'est Dieu qui l’a voulu
Et non mon imprudence
J'en sais plus que quiconque
A quoi bon tout redire
J'avais coutume de secourir l'indigent
Seul existe le Dieu Un c'est ma foi
il n’y a point de frères
Fuyons avant de perdre tout sel 2 .
1. Khalil Ibnou Ishak, populairement ; Sidi Khelil. Juris con¬
sulte musulman, le plus célèbre des exégètes du rite malékitc. Son
traité U Mokchtasar (abrégé) constituait la base et souvent la ma¬
tière des études juridiques dans les pays du Maghreb. Mort en 1365
et, selon d’autres, en 1374.
2. Variantes :
10 - Qui veut entendre m’entende
11 - Mes épreuves sont innombrables
12 - Mieux vaut prodamer le Dieu un.
109
272
Aal-Elleh aqlay annas
ma irad uàassas
ma t-Tunes tura tbeddel
La d ttasen d imurdas
aacr' ay d aterras
syur Hebb’ ay d ikka ddei
Ahia Imut byiy ad d as
qwan yir legnas
Aâraben rnaa d Leqbayel
Le^ayer annerzu fellas
tamdint I-lkweyyas
dinna i-gefban lefhel.
273
A lbaz ilik d aqeyyas
yel Itahem hku vas
ccbab iheggan iqqar
Mkul ahbib xaf in’ as
ittef iyi ttlam deg-gwas
tarwiht 1-lâaz tennemdar
Mazal qdàay lavas
la tqiddiy annas
kulyiwen as hkuy lexbar.
110
272
Je vais s’il plaît à Dieu revenir
Si les saints le veulent
Car Tunis a changé
Les gens y entrent à moitié morts
Il en faut dix pour faire un homme
De Dieu leur vient la déchéance
Mort je veux que tu viennes
Tant abonde male engeance
D’Arabes à qui se joignent les Kabyles
J’entrerai dans Alger
La ville des hommes nobles
Là seuls se voient les preux.
273
Faucon pèse tes mots
Et à l’avisé 1 dis
L’état du jeune clerc
A tous les amis dis comme
La nuit a fondu sur moi en plein jour
jetant aux quatre vents mon âme aimée.
Car je n’ai pas perdu l’espoir
de revenir
Conter à chacun mon aventure.
1. Le poète fait allusion à son frère.
111
274
yettef iyi lwad d amessas
mektub deg rras
Iweqt agi d ayeddar
Si Tunes nek d aterras
abrid s uàassas
di Sschra blad Iqifar
Bennuy yefhuddu F Usas
Elleh yextar as
kra àaftbey d axessar.
275
A lfahem kulci mehdud
maçç’ akk* ay nàud
rgiy am-gujiJ tabburt
Yendef wul izri w iru d
yekker degs ddud
mkulwa isaadda tafsut
Mi tehla Imehna teznu d
sebhank a Imaàbud
tamara ibellaà iqut
/
Ay at rrkuà d ssugud
Fsit ay leqyud
recdey kwen argaz tamettut
112
274
Insipide le Destin qui s’est saisi de moi
mais il était écrit sur mon front
que ce temps serait de traîtrise
Je suis venu à pied de Tunis
par des chemins gardés
à travers le Sahara pays des déserts
Je construisais, il détruisait jusqu’aux fondations 1
mais Dieu lui réserve ses coups
Mes épreuves s’en sont allées en pure perte.
275
Sage tout a été prédestiné
Mon attente a été trompée
Me voici orphelin guettant près de la porte
Mon cœur de nouveau blessé a fondu en larmes
Il grouille de vers
Alors que chacun a vécu son printemps
Mon mal à peine apaisé ressuscite
Gloire à Toi Dieu adoré
Je n’avale plus que contraint
Prieurs prosternés et soumis
Brisez mes fers
J’en appelle à vous hommes et femmes
1. Le poète (ait allusion à son frère.
113
Nusà d d inebgi meqsud
nufa d lmuhucf
awal i wen nniy metbut
Armi ncab imi w ihud
ay nexda Ihudud
lukan axir day nemmut.
276
A Rebbi deg nessutur
dawi d Imedrur
Laâceq u Iqella 1-lmesruf
yriy Leqwran kul ssdur
tzaliay tthur
ism iw ar medden maàruf
Tura imi ncab neqqur
la y reggmen laàrur
wehcey iyli d felli lxuf.
114
Je suis venu en invité
Et j*ai trouvé un lit 1
Je vous le dis en vérité
Il a fallu les cheveux gris et la bouche édentée
Pour que je passe les bornes
Mieux valait la mort.
276
Dieu à qui vont nos requêtes
Guéris le déshérité
Tout ensemble amoureux et démuni
J’ai étudié le Koran ligne à ligne
Je faisais la prière du Dohor 2
Mon nom était partout répandu
Maintenant que je suis blanchi et desséché
J’essuie l’insulte des gredins
Je suis esseulé l’épouvante a fondu sur moi.
1. Sens ici peu sûr.
2. Celle du début de l’après-midi, qu’on peut remettre au soir
pour la joindre à celles qui viennent plus tard.
115
279
Ddcnya anruh laqrar
d aqcic ney d amyar
lamer r -Rebbi sebhanu
Âyen d i\Ieq ad indeggar
a s yeg akw leqrar
ur t icqi hed ma i^ru
W* isaan kr’ ad veçç meqqar
ifren deg lxetvar
g-gwas is aan’ ad vernu
282
Lmehna w ur tefnaawad
ur zmiren laabad
ad kksen ccedda felli
Lehlak iw simmal ye^ad
aani day nugad
hulfay i ssura w teyli
D zzehr iw ay d ahessad
rebhen akw laabad
nek yug’ ad ii d iwaii.
116
279
Nous devons quitter le monde sans y laisser de trace
Jeunes ou vieux
Telle est la volonté de Dieu gloire à Lui
Tout ce qu’il a créé se perdra
Et ira vers le but fixé
Que Lui importe que quelqu’un pleure
Si tu as quelque chose au moins jouis-en
Choisis le plus exquis
Tu ne prolongeras pas d’un seul jour ta vie.
282
Indicible est ma peine
Et nul être ne peut
M’enlever de tourment
Mon mal chaque jour empire
Aurais-je peur
Je sens tout mon corps abattu
Un destin jaloux me poursuit
Tout le monde est heureux
Mais Dieu ne veut point
[tourner ses regards vers moi.
117
283
Ata wul iw yefregrig
af lqern uAwij
âussey am gujil tabburt
Atnâareri a Sidi Ali ssid
ahaya mmi s n ssid
tedâud ar tifrir tagut.
Av helkey lehlak d uswid
kulyum ye??eggid
abrid a hubay Imut.
285
Helkey lehlak d amqennin
kulyum yesmeqnin
mi hliy teznu d tiyta
Ddwa s ttelb’ ur t sain
nuday timdinin
steqsay ddkur u nnta
Abrid a heggit timedlin
qbel ad awen inin
Muhend af tizi 1-lmuta.
118
283
Mon cœur délire
Sur ce siècle tors
Dont orphelin je garde la porte
Lion Ali 1 assiste-moi
Homme de noble race
Prie que se dissipe ma brume
Je souffre d’un mal noir
Qui chaque jour empire
Cette fois j’ai terreur de mourir.
285
Je souffre d’un mal tenace
Qui chaque jour se propage
Et après chaque répit ressuscite
Les clercs n’en ont pas le remède
J’ai parcouru toutes les villes
Interrogé hommes et femmes
Cette fois préparez les dalles
Avant qu’on ne vous dise
Mohand est sur le point de mourir.
1. Ali, gendre du Prophète, héros des légendes islamiques.
119
286
A ccix Muhend-u-Lhusin
nusa d a k nissin
nedmaa si Igiha k cwit
A lbaz izedyen lehsin
ihubb ik wehnin
amkan ik hed ur t ibbwid
yer ssfer heggi aawin
ul iw d amudin
tamurt atbeddel wivid 1 .
. Variante Feraoun ( Voyage, 13).
3 - ul iw irekb it lyid
5 - ilaq ak wissin
au ikem iyi ujemmid
7 - a ssaddat Heggit aawin
si tizi akin
tamurt a ; zedycn wiyid.
120
286
Cheikh Mohand-ou-El Hocine
Je suis venu te connaître
Car ^attends quelque aide de toi
Faucon qui hantes le manoir
Tu es aimé de Dieu très Bon
A ta hauteur nul n atteint
Pour le voyage prépare le viatique
Mon cœur souffre
Ce pays va changer d’hommes h
1. Variante Feraoun ( Voyage, 13) :
3 - Le trouble a saisi mon coeur
5 - Il te faut un pair
Le froid est entré en moi
7 - Saints préparez le viatique
Pour aller de l’autre côté du col
Dans ce pays d’autres vont venir
121
SI MOHAND
Si Mohand, fils de M’hand at Hamadouchc est né vers 1845 à
Icherâiouen (Haute Kabylic). Il appartient à une famille relative-
ment aisée. Si Mohand est destiné à la lecture et à l'écriture de la
langue sacrée : le Koran. Il devait assurer les fonctions de talcb. En
1871, avec la grande insurrection de El-Mokrani et du cheikh
Ahcddad, une partie de sa famille sera exécutée, dont le père de
Mohand. Mohand échappera au massacre grâce à l'intervention
d'un militaire qui jugeait sa mort inutile. Le village du jeune
homme est incendié* Il est contraint dès lors de vivre livré à lui-
même. Poète, Si Mohand vit dans l'errance jusqu'à sa mort en
1906.
123
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
A. Hanoteau, Poésies populaires de la Kabyliedu Djurdjura* Paris,
Imprimerie impériale éd., 1867.
Bclkacem Ben Scdira, Cours de langue kabyle* Alger, Jourdan éd.,
1887, pp. 377 à 407 : « Chansons et poésies ».
L. Rinn, « Deux chansons kabyles sur l’insurrection de 1871 »,
Revue africaine* 1887, t. 31, pp- 55 à 71.
René Basset, L'Insurrection algérienne de 1871 dans les chansons
populaires kabyles* Louvain, Istas éd., 1892, 60 p.
Si Said Boulifa, Recueil de poésies kabyles* Alger, Jordan éd., 1904.
E. Layer, Par monts et par vaux. Poésies populaires kabyles* Rouen,
Lainééd., 1913.
Henri Basset, Essai sur la littérature des Berbères* Alger, Carbonel,
1920.
Jean Ambouchc, Chants berbères de Kdbylie , Tunis, Monomo-
rapa éd., 1939.
Emile Dcrmenghem, La Poésie kabyle de Si Mouh ou Mohand et
les isefra* Documents algériens, série culturelle, 1951, n° 57.
Mouloud Feraoun, La Légende de Si Mohand* Algérie, septembre
1958.
Mouloud Feraoun, Les Poèmes de Si Mohand* Paris, Editions de
Minuit éd., I960.
Pierre Savignac, Poésie populaire des Kabyles* Paris, F. Maspero
éd., 1984.
M. Taos Ambouchc, Le Grain magique , Paris, F. Maspero éd.,
1966.
Mouloud Mammcri, Les Isefra-poèmes de SiMohand-ou-Mhand*
Paris, F. Maspero éd., 1969.
125
TABLE
Préface , par Tassadit Yacine.7
Isefra.19
Notice biographique.123
Orientation bibliographique.125
ACHEVÉ D'IMPRIMER
EN AVRIL 1994
SUR LES PRESSES DE
L’IMPRIMERIE DU LION
90700 CHATENOIS LES FORGES
DÉPÔT LÉGAL : 2*TRIMESTRE 1994
ISBN : 2-7291-0990-0
ISSN : 0-993-8672